Historique de l’exploitation charbonnière dans l’ex-bassin minier du Nord/Pas-de-Calais

 

LA BATAILLE DU CHARBON OU LA RECONSTRUCTION NATIONALE PAR L’ENERGIE

A la Libération en 1944, le pays se trouve épuisé par cinq années de guerre.

La situation est critique : les installations existantes ne correspondent plus à la technique moderne de l’exploitation minière, mais sont néanmoins récentes pour la plupart puisque reconstruites après la Grande Guerre.

Certaines d’entre elles ont été endommagées lors des opérations militaires et surtout des bombardements de 1940-1944, mais les dégâts étaient cependant beaucoup moins graves que ceux subis lors de la guerre précédente.    

En juillet et août 1944, la production est tombée à 55000 tonnes par jour ouvré, le rendement fond de 620 kilos, et en fin d’année, l’effectif des mineurs fonds est descendu à 92000.

Seule une augmentation massive des effectifs est en mesure de relancer rapidement la production.

Pour ce faire, le Gouvernement envoie dans le Bassin 35000 prisonniers de guerre et procède en même temps à une revalorisation substantielle des salaires de la profession minière de manière à favoriser le recrutement parmi la main-d’œuvre régionale.

Grâce à ces mesures de redressement, l’effectif fond passe de 91.500 en janvier 1945 à 134.000 en janvier 1946.

Travaillant sans relâche avec du matériel de fortune, les mineurs parviennent à porter la production journalière du Bassin à 101.000 tonnes en janvier 1946 au lieu de 64.000 en janvier 1945.

Cependant, pour la même année, le rendement fond s’inscrit à 926 kg pour l’ensemble des charbonnages français. Ce chiffre est très nettement inférieur à ceux d’avant-guerre.

Bien souvent, le personnel recruté est loin de se familiariser avec le métier de mineur, surtout lorsqu’il s’agit de prisonniers de guerre. A cela, il faut ajouter l’insuffisance et l’usure des installations dont la grande crise économique d’avant-guerre n’a permis qu’un renouvellement partiel et qui se sont dégradées sous l’Occupation.

Malgré ces obstacles, les mineurs du Nord-Pas-de-Calais relevèrent le défi en gagnant la bataille du charbon. La production dépassera les 29 millions de tonnes, soit la moitié du charbon français et le quart de l’énergie nationale.

 

LA NATIONALISATION

Avant la guerre, le Bassin minier qui s’étend dans les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais était exploité par 18 compagnies privées, pratiquement concurrentes, dont huit produisaient annuellement plus de deux millions de tonnes de charbon : Aniche, Anzin, Béthune, Bruay, Courrières, Lens, Marles, Noeux-Vicoigne-Drocourt.

Ces compagnies disposaient à Douai d’un bureau commun, le Comptoir des Mines du Nord et du Pas-de-Calais, chargé de la centralisation des ventes de charbon. 

A la Libération, en 1944, le Gouvernement provisoire décide de confier la direction de toutes les mines à la Nation, marquant ainsi la disparition du régime des compagnies minières et une loi du 17 mai 1946 votée par le Parlement a substitué à ces compagnies un organe unique : Les Houillères du Bassin National du Nord et du Pas-de-Calais (H.B.N.P.C.), établissement public de caractère industriel et commercial  (EPIC), doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière.

La Nationalisation du bassin a d’abord été promulguée à titre provisoire par une Ordonnance du 13 décembre 1944, la guerre n’étant pas encore terminée.

Le régime de la Nationalisation n’a pas seulement modifié la structure juridique de l’entreprise. Il a également permis la réalisation d’un plan de concentration et de rénovation industrielle dont le Bassin, doté d’un matériel obsolète qui n’avait pu être entretenu et renouvelé pendant les années d’occupation, avait le plus urgent besoin.

Pour des commodités de gestion administratives et techniques, la loi de Nationalisation a divisé le Bassin en neuf puis en huit groupes d’exploitation qui furent de l’Ouest vers l’Est :

  1. Auchel            (concessions de Marles, La Clarence et Ligny-les-Aire),
  2. Bruay                          (concession de Bruay),
  3. Béthune          (concessions de Noeux et Grenay),
  4. Lens-Liévin      (concessions de Lens et Liévin),
  5. Hénin-Liétard   (concessions de Courrières, Dourges et Drocourt),
  6. Oignies           (concessions de Carvin et Ostricourt),
  7. Douai              (concessions d’Aniche, de l’Escarpelle, Flines, Courcelles et Azincourt),
  8. Valenciennes   (concessions d’Anzin, Crespin, Douchy, Vicoigne).

 

A quelque différences près, l’organisation des Groupes d’exploitation est la suivante : A la tête de chaque Groupe se trouve un Directeur délégué, qui comme son nom l’indique, a reçu une délégation de pouvoirs du Directeur Général du Bassin. 

Le Directeur Délégué est secondé par plusieurs adjoints : le Directeur des travaux du fond chargé de l’exploitation du charbon, le Chef du service des usines qui dirige lavoir, cokerie, centrale ou encore le Chef des services administratifs et commerciaux.

Les fosses sont groupées en secteurs dirigés par un Ingénieur en Chef.

La Direction Générale du Bassin dont le siège est situé à Douai établit la politique du Bassin et coordonne l’action des huit groupes d’exploitation en vue d’atteindre le but fixé par cette politique.

Pour gérer les affaires du Bassin, la loi de Nationalisation a institué une Assemblée à côté de la Direction générale : c’est le Conseil d’Administration dont le rôle est comparable à celui de l’Assemblée nationale qui, avec le Gouvernement, gère les affaires de la France.

Avant la Nationalisation, chaque Compagnie minière possédait son propre Conseil d’Administration. Y siégeaient des hommes d’affaires, des techniciens et des financiers qui représentaient la masse des actionnaires, c’est-à-dire des personnes ayant apporté des capitaux à la Compagnie.   

L’Etat étant devenu l’unique propriétaire des mines, plus aucun représentant du capital privé ne siège au Conseil d’Administration qui ne comprend désormais que des personnalités choisies, soit pour leur compétence, soit pour leur caractère représentatif.

Un EPIC, CHARBONNAGES de FRANCE (CdF) dont le siège est à Paris, en liaison étroite avec le ministère de tutelle, coordonne l’activité du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais et celle des huit autres Bassins français qui sont par ordre d’importance :

  1. les Houillères du Bassin de Lorraine,
  2. les Houillères du Bassin de la Loire,
  3. les Houillères du Bassin de Cévennes,
  4. les Houillères du Bassin de Blanzy,
  5. les Houillères du Bassin d’Aquitaine,
  6. les Houillères du Bassin de Provence,
  7. les Houillères du Bassin d’Auvergne,
  8. les Houillères du Bassin du Dauphiné.

 
De Paris, cet organisme joue, par rapport aux divers Bassins, le même rôle d’impulsion que la Direction générale joue de Douai par rapport aux divers Groupes d’Exploitation du Nord et du Pas-de-Calais.

En définitive, La Nationalisation des mines de charbon a eu pour objet de rendre à la Nation les richesses de son sous-sol afin de les exploiter au profit de la collectivité. Ce que Mirabeau avait pu empêcher avant la Révolution (La nationalisation de la Compagnie des Mines d’Anzin), la Libération l’a réalisé.

MODERNISATION ET RECESSION

Dès 1946, il apparaît que la pénurie du charbon de l’Europe va en s’atténuant et que les Houillères seraient conduites à abandonner leur politique de production à n’importe quel prix pour tenir compte de la concurrence.

Après avoir développé l’extraction aussi rapidement que possible avec des installations endommagées et un matériel vétuste que l’occupation n’avait pas permis d’entretenir, les H.B.N.P.C lancent un vaste programme de rénovation, de modernisation des chantiers et de concentration des sièges d’extraction.

Ce programme vise essentiellement à accroître la production tout en diminuant le coût grâce à la concentration de l’extraction sur un certain nombre de puits à grande capacité, à la fermeture des fosses déficitaires, à la mise en service de nouveaux puits à grand diamètre. Il comporte aussi la réorganisation et le regroupement des installations de traitement du charbon.

Les 109 sièges d’activité en service en 1945 ont été concentrés sur 74 sièges de capacité unitaire.

Malgré les efforts de modernisation, les H.B.N.P.C portent déjà en elles les stigmates de la récession.

Les veines de charbon minces et tourmentées, coupées d’accidents et de bancs stériles, ne peuvent être comparées aux couches plus régulières et plus épaisses des Houillères de Lorraine, de la Ruhr, ou de Grande-Bretagne, encore moins de celles des Etats-Unis.

L’exploitation qui n’a jamais été facile devient, d’année en année, de moins en moins rentable au fur et à mesure de l’épuisement des ressources. A ces difficultés s’ajoute la concurrence des autres sources d’énergie : pétrole, gaz naturel puis le nucléaire.

Les comptes de l’exercice 1953 faisaient déjà apparaître un déficit de 9 milliards 886 millions de francs (anciens francs).

En 1962, le plan de récession des Charbonnages se fait sentir et les fermetures successives des sièges d’exploitation s’accompagnent d’un arrêt progressif dans l’exploration et la connaissance géologique du bassin du Nord-Pas-de-Calais. La synthèse d’Alexis BOUROZ de 1969 et la carte stratigraphique du bassin à la cote -300 constituent en quelque sorte l’épilogue de l’histoire de la connaissance géologique du bassin. 

A partir de 1967, les Pouvoirs Publics commencent à accorder des aides aux entreprises qui s’installent dans la région et les plus jeunes agents sont invités à se reconvertir dans d’autres secteurs d’activité, ce qui n’est pas sans conséquence sur le vieillissement du personnel.

Comme il n’est pas encore question de cesser l’exploitation charbonnière, les Houillères organisent l’immigration de la main-d’œuvre marocaine pour maintenir l’extraction durant le temps qu’exigerait la reconversion.

Conséquences de la récession, les Groupes d’exploitation qui étaient au nombre de cinq en 1969 cessent d’exister au 1er janvier 1971. Les structures du commandement se situent désormais à deux niveaux au lieu de trois : le niveau de la Direction générale, d’une part, celui des Unités de Production (U.P) d’autre part.

Le niveau de la Direction Générale du Bassin comprend la Direction des Activités Charbon (DACHAR) et la Direction des Activités et Filiales Industrielles (DAFI).

La première est responsable du cycle complet de la production de la houille, depuis l’extraction jusqu’à la livraison à la clientèle de tous les produits, qu’il s’agisse des charbons, des boulets, du coke, du gaz et même des kilowatts/heure issus des centrales électriques. Elle concentre les Directions de l’Exploitation de la houille, de la Carbonisation et de l’Agglomération, des Services Commerciaux et des centrales électriques.

La Direction des Activités et Filiales Industrielles (DAFI) regroupe, quant à elle, toutes les Unités de Production des H.B.N.P.C dans trois domaines que sont les matériaux de construction, le bâtiment et la transformation des matières plastiques, ainsi que les Sociétés dans lesquels la SICCA, filiale des Houillères, a pris des participations.

Le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est désormais découpé en sept Unités de Production (U.P) Charbon : Auchel, Bruay, Lens, Courrières, Ostricourt, Douai et Valenciennes. 

Chacune de ces Unités de Production devient responsable de son exploitation, de sa préparation mécanique des charbons (lavoirs), éventuellement de sa cokerie ou de son usine d’agglomération installée dans son Secteur et enfin de la commercialisation de ses produits (écoulement, ventes).

A ces sept Unités s’ajoute une U.P un peu particulière : la cokerie de Lourches qui est devenue Unité Indépendante le 1er avril 1970. Elle fabrique du coke « à façon » pour des tiers. De ce fait, elle n’est rattachée à aucun Siège de production comme c’est le cas pour les autres cokeries du Bassin.

Les Activités des centrales électriques sont coordonnées par la Direction des Centrales rattachée à la DACHAR.

Parallèlement à ces Unités de Production, des services spécialisés regroupés à l’échelon du Bassin ont été créés. Ils comprennent :

 

 

En 1974, la crise de l’énergie et le renchérissement des prix des produits pétroliers laissent espérer une issue. Mais ces nouvelles données ne permettent au Bassin que de freiner la réduction de la production et mettre un terme à l’industrialisation de la région minière et à la conversion des mineurs.  

 

LA FIN DE L’EPOPEE CHARBONNIERE

Dès janvier 1970 à Lens, le directeur général du Bassin entrevoit la fin de l’extraction pour 1983. Oignies est déjà cité comme ultime bastion. La prévision de cette échéance sera retardée de sept ans.

En 1981, le Gouvernement de Gauche de Pierre Mauroy préconise une relance de l’extraction charbonnière, projet irréaliste car le Bassin du Nord/Pas-de-Calais qui ne produisait plus que 4 millions de tonnes devait porter sa production à 5 et 6 millions.

Le 26 octobre 1990, à 11 heures, avec la remontée de la « dernière gaillette » à la fosse n°9 de l’Escarpelle à Roost-Warendin, le Département du Nord vient de fermer son dernier puits de mine. 

La fermeture le 21 décembre 1990 de la fosse n°9 de Oignies (ou fosse De Clercq-Crombez), dernier siège en activité dans le Département du Pas-de-Calais, marque définitivement la fin de l’extraction charbonnière dans la région.

C’est dans un silence émouvant, que 205 « gueules noires » accompagnés de trente agents de maîtrise descendent ce jour là, à 6 heures du matin, à plus de 800 mètres sous terre pour extraire symboliquement les dernières gaillettes de charbon de la veine « Michèle ». La dernière berline de charbon sera remontée à 11 h 15.

 

Fosse n°9 d’Oignies : Les mineurs s’alignent pour la dernière remontée de la berline du Bassin
(21 décembre 1990)
(Collection Jean-Marie MINOT)

 

De la première gaillette extraite le 3 février 1720 à la fosse Jeanne Colard de Fresnes-sur-l’Escaut par la première Compagnie Désaubois à la dernière remontée du fond à la fosse n°9 de Oignies, c’est 270 années d’une formidable aventure humaine, sociale et industrielle qui s’achèvent.

Au total, les mineurs du Nord-Pas-de-Calais auront apporté à la France plus de 2,3 milliards de tonnes de charbon.

De cette longue épopée aujourd’hui révolue, la région a gardé des traces indélébiles dans son paysage et sa population.

Mais ce que l’on retiendra surtout, c’est le courage et la solidarité de ces générations d’hommes et de femmes qui, au prix d’une vie faite de souffrance et de dur labeur, ont contribué à forger l’identité et l’image de toute une région.