Récits/Poèmes

 

Le récit qui suit intitulé « Galibot » est le témoignage d’un ancien mineur, François, né en 1936, qui relate sa première expérience au fond de la mine dès l’âge de 14 ans. Ce texte qu’il a coécrit avec Louisette, également née en 1936, est publié dans « Claires Regards sur Pays Noir » (2007),un recueil de cent textes rédigé par deux auteurs talentueux écrivant sous le pseudonyme de Line Codore.        

« A l’âge de quatorze ans, après avoir obtenu mon certificat d’études, il fut question de m’embaucher à la fosse comme mon père !
Enfin, le mercredi 10 novembre 1950, j’étais embauché ! J’étais à la fois fier et craintif, plein d’inquiétude et de curiosité. J’allais pouvoir avec ma quinzaine aider mes parents.
La préparation de ma première musette fut toute une entreprise. Ma mère avait mis dans mon « briquet » composé de casse-croûtes, d’une orange, et d’une plaque de chocolat sans oublier le bidon en aluminium, le boutlot rempli d’eau colorée avec du café.
Pendant qu’elle s’affairait autour de moi, ma mère pleurait doucement car elle savait que mon enfance insouciante était terminée.
Puis il y eut la préparation de mon paquet ; on l’appelait ainsi car il consistait à mettre dans la serviette de bain le costume de toile bleue acheté au marché, le linge de corps, le savon, et la traditionnelle paire d’espadrilles dont se chaussaient la plupart des mineurs parce qu’en ce temps-là, il n’était pas encore question de bottines de sécurité, ou peut-être que cela aurait coûté trop cher.
C’est ainsi que ce mercredi, ma musette accrochée à l’école, mon paquet sous le bras, je commençais ma vie de mineur.
Je pénétrai sur le carreau de la fosse. Je croisais des mineurs qui sortaient ; il y avait aussi des charettes appelées tombereaux emplis de charbon qui allaient vers les cités afin de desservir les foyers de mineurs pour assurer le chauffage.
Je me souviens également que mon cœur d’enfant se serrait à la vue de ces chevaux tirant leur charge en se dirigeant vers les corons.
Mon père m’avait donné la marche à suivre pour aller dans le lavabo. C’était un grand bâtiment qui comprenait une immense salle centrale entourée de plusieurs salles avec des douches. Au plafond étaient suspendus par milliers les paquets des mineurs, chacun avait son crochet. Le garde lavabo me dit : je vais te donner une corde pour accrocher tes affaires. Il me montra le maniement de la corde et m’indiqua le numéro du crochet.
J’endossai ma tenue de travail, j’accrochais mes effets au crochet, je le remontai et ainsi paré pour la première fois, je me dirigeais vers le triage où j’allais faire une première journée de travail dans la poussière et le bruit infernal.
Cela a duré six mois avant que je descende au fond de la mine, mais ça c’est autre chose ! »

 

André LEGRAIN est né en 1927 à Harnes. Ancien agent de maîtrise, il a créé avec son épouse, Fernande, un musée dédié à l’histoire de l’Ecole et la Mine dans sa commune. Il vit à quelques pas du musée et consacre une bonne partie de son temps à transmettre l’histoire de sa région aux jeunes générations. Pour les besoins du site, iI a accepté que son récit intitulé « J’étais destiné à être instituteur, mais ils sont venus recruter à l’école », extrait du très bel ouvrage « Mémoires de mineurs » (2007) rédigé par Arnaud MULLER et Dominique FARGUES soit repris pour les besoins du site « Fenêtre sur la Mine ».

« Mon père était électricien aux mines, ma mère commerçante. Je n’ai jamais vécu dans les corons ; on habitait le centre de Harnes. Je ne connais la vie des corons  que par le trajet que je faisais pour aller à la fosse n°21 ! J’étais destiné à être instituteur, j’avais été reçu à l’examen de l’Ecole Normale d’Arras. Mais un jour sont passés de grosses huiles des Mines de Courrières. Ils sont venus dans ma classe pour voir qui voulait travailler à la mine. C’était les gardes des corons, des sortes de concierges, qui se chargeaient de cette tâche. A l’école, on nous faisait miroiter qu’aux Houillères, on avait besoin de cadres, agents de maîtrise supérieurs ou ingénieurs.
« Je me suis dit : On va gagner de l’argent, plus que dans l’enseignement. On gagnait plus parce que c’était l’opulence dans les mines, il y avait de la production. C’étaient les 100 000 tonnes.
Mes parents, eux, n’étaient pas tellement d’accord pour que j’aille à la mine. Ils auraient plutôt voulu que je reste à travailler dans le commerce avec eux. Mais ils ne me donnaient pas de sou. J‘ai dit : Puisque c’est comme ça, je vais préparer l’Ecole des Mines. Je voudrais gagner ma quinzaine quoi !
Pour rentrer à l’Ecole des Mines de Douai il y avait des tests à passer, sur trois cents jours ! J’avais tout un plan de formation à suivre, dirigé par le patron de la mine. J’ai commencé fin 1944, et j’ai fini des stages au fond, jusque septembre 1948 avant d’intégrer l’école. J’ai suivi différents stages, d’abord avec des rocheurs, des raccomodeurs, puis à l’abattage, dans les creusements, les bowettes.
Il fallait 16 de moyenne pour rentrer à l’Ecole. J’avais un bon bagage. Ceux qui venaient de l’Ecole des Mines de Paris, eux, étaient directement ingénieurs, même s’ils n’y connaissaient rien !  Un jour, j’ai même partagé mon briquet avec un jeune ingénieur de Paris, que j’avais amené au fond ; Il n’y connaissait vraiment rien ! Alors que l’Ecole des Mines de Douai était une école « pratique » : on nous faisait gravir tous les échelons, depuis celui de galibot.
Ce que je garde le plus en mémoire des trois cents jours, c’est les difficultés physiques. Vous voyez le poids d’un marteau piqueur ! On avait les épaules et le cou larges !
Je n’avais pas mon bac, j’avais le BEPC, mais j’avais été bien formé ; j’avais un bon bagage d’exploitation. Je suis entré en deuxième à l’Ecole, et sorti dans le milieu du classement. Pour faire la troisième année, et passer ingénieur, il fallait encore 16 de moyenne. Moi, je n’ai fait que deux ans. Je n’ai pas eu une note suffisante pour passer en troisième année. C’est dommage ».