LA CATASTROPHE MINIERE DU 10 MARS 1906

 

Le 10 mars 1906, une catastrophe sans précédent dans les annales de l’industrie française et européenne survenait dans les travaux Sud de la concession des mines de Courrières (Pas-de-Calais), réputés parmi les plus grisouteux du Bassin.

A l’origine de ce terrible drame, un coup de poussières consécutif à un coup de grisou dans une galerie de la veine Joséphine dite voie Lecoeuvre, s’est propagé dans les champs d’exploitation des fosses n°3 de Méricourt, 2/10 de Billy-Montigny et 4/11 de Sallaumines, provoquant officiellement la mort de 1099 mineurs dont 1056 de nationalité française et 43 de nationalité belge.

Sous l’effet de la forte chaleur, les matières volatiles du charbon se sont dégagées et enflammées, provoquant une surpression et transmettant très rapidement la chaleur aux poussières soulevées qui se sont enflammées successivement.

D’après les différents témoignages recueillis à l’époque, la catastrophe s’est produite entre 6 h45 et 7 heures du matin, au moment où plus d’un millier de mineurs regagnaient leurs postes de travail. 

 

Samedi 10 mars 1906

En cette belle journée du 10 mars 1906 qui annonce l’arrivée du Printemps, une secousse suivie d’un bruit sourd est ressentie par l’ensemble de la population des communes voisines de Billy-Montigny, Méricourt et Sallaumines.

Le directeur de la Compagnie des Mines de Courrières, Auguste Lavaurs, dont la demeure jouxte le carreau de la fosse n°2 de Billy-Montigny, comprend qu’un événement grave vient de se produire dans les chantiers du fond.

Après s’être rendu à la fosse 2 où il n’a pu constater aucun dégât matériel en surface, il accourt en direction de la fosse n°3 de Méricourt toute proche où la situation est bien différente.

Dans un vacarme assourdissant, une explosion a fait jaillir du puits n°3 un nuage de poussières, après avoir ravagé le moulinage et le chevalement d’extraction.

La violence de la déflagration fut telle qu’un cheval affecté aux travaux du fond fut projeté hors du puits à la manière d’un projectile. 

Obstrué par des amas de ferrailles, le puits n°3  n’autorise plus l’accès aux chantiers du fond, ce qui amène Lavaurs à organiser les secours par le puits n°4 de Sallaumines où la situation n’est guère meilleure.

La déflagration a mis hors service la cage du puits n°4 qui, projetée dans le chevalement, est retombée de travers sur ses taquets.

C’est en outre à la fosse n°4/11 de Sallaumines que la première victime de la catastrophe des Mines de Courrières, Georges Engelaëre, est retrouvée inanimée.

Ce mineur résidant à Avion était occupé à effectuer des réparations sur l’armature métallique du chevalement, lorsque le souffle de la déflagration le projeta sur l’escalier de fer conduisant au moulinage où il succomba des suites d’une fracture du crâne.

Dans les corons, l’écho d’une catastrophe ne tarde pas à se répercuter. Affolée, la foule des épouses, des enfants et des parents se répand dans les rues et s’élance vers les fosses sinistrées dont les grilles ont été verrouillées aussitôt la nouvelle connue.

Nul ne doute désormais que le bilan des victimes sera très lourd au regard du nombre de mineurs descendus ce matin là dans les fosses de la Compagnie des Mines de Courrières. 

A la demande des dirigeants de la Compagnie, le Préfet du Pas-de-Calais fait installer un cordon de gendarmes aux entrées des fosses concernées afin de maintenir la foule à l’écart et permettre aux sauveteurs d’effectuer leurs opérations.

 

Du 11 mars au 16 avril 1906

Au lendemain de la catastrophe, le service d’ordre est renforcé. 300 hommes du 3ème Génie arrivent par train spécial en gare de Billy-Montigny. Les 5ème et 8ème compagnie du 33ème d’Arras occupent la fosse n°2 et 150 gendarmes sont venus renforcer leurs collègues occupés sur place.

Dans les gares de Billy-Montigny et les haltes de Méricourt et de Sallaumines, c’est un flot ininterrompu d’une foule qui vient aux nouvelles. Dans les fosses où la circulation des cages a pu être rétablie, on descend du matériel pour organiser les secours et on ne remonte plus que des cadavres dont la plupart sont méconnaissables.

Lorsque les conditions le permettent, les sauveteurs continuent de chercher d’éventuels survivants, mais les gaz qui ont envahi les galeries freinent leurs reconnaissances et les obligent bien souvent à battre en retraite à moitié asphyxiés. Très vite, il faut se rendre à l’évidence : les moyens de sauvetage à disposition sont dérisoires face à l’ampleur de la catastrophe. 

Le Lundi 12 mars, à 5 heures du matin huit pompiers de Paris équipés d’appareils respiratoires pour le sauvetage arrivent à la fosse n°4 de Sallaumines. L’après-midi, en gare de Billy-Montigny débarque un groupe de sauveteurs allemands de la Société d’exploitation minière Hibernia de Herne dans la Ruhr.

Ils sont vingt-cinq, très bien équipés pour combattre ce genre de sinistre. Aussitôt, ils sont conduits sur le carreau de la Fosse n°2 de Billy-Montigny. Leur arrivée est un symbole de fraternité entre mineurs alors que les relations avec l’Allemagne sont loin d’être excellentes depuis la guerre de 1870 encore toute proche dans les esprits.

Les opérations de sauvetage resteront particulièrement difficiles du fait des destructions causées par le coup de poussières.

 

Les funérailles

Le mardi 13 mars, la neige tombe à gros flocons ; l’émotion est intense. On va enterrer les premiers morts de cette terrible catastrophe.

Une foule immense vient rendre un dernier hommage aux victimes. Les cercueils sont alignés sous un hangar à la fosse n°3 de Méricourt. Les personnalités prennent la parole pour les discours de circonstance puis les dépouilles dont presque toutes n’ont pu être identifiées, sont conduites au cimetière de Méricourt coron pour être ensevelis dans une tranchée longue de 18 mètres et profonde de 2 mètres.

Arthur Lamendin y prononce un discours virulent mettent en cause directement la Compagnie des Mines de Courrières.

A la fosse n°2 de Billy-Montigny, c’est une autre chapelle mortuaire improvisée qui est installée dans un hangar où trente-huit cercueils sont alignés.

Toujours sous la neige qui tombe en abondance, les cercueils quittent un à un le hangar pour être conduits au cimetière. Là aussi, les personnalités prennent la parole.   

A la fin des discours, le délégué Hurbain et Emile Basly réclament justice, mettant une nouvelle fois en cause la Compagnie des Mines de Courrières.

Après ces derniers discours, la foule hurle, des cris montent : « Vive la révolution, Vive la grève ». C’est de Billy-Montigny que va s’élever le cri de la classe ouvrière : « Vengeance ».

 

Les retombées politiques et sociales

Au lendemain des funérailles, une grève générale se déclenche. Elle vise tout particulièrement les dirigeants de la Compagnie des Mines de Courrières, que les mineurs et familles des victimes tiennent pour responsables du drame qui s’est produit.      

Si les causes exactes de la catastrophe n’ont jamais été clairement identifiées, du fait de l’ampleur des dégâts provoqués par le coup de poussières, il n’en demeure pas moins que la Compagnie des Mines de Courrières a négligé les règles de sécurité les plus élémentaires :

Le vendredi 16 mars, une réunion qui devait se tenir à Arras entre les directeurs de la Compagnie et les délégués ouvriers est repoussée à une date ultérieure.

A la Maison syndicale de Lens, la Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais se réunit. 1200 personnes environ s’y retrouvent.

C’est alors que Georges Clémenceau (1841-1929) qui vient d’être nommé Ministre de l’Intérieur part à la rencontre des grévistes.

Dès son arrivée en gare de Lens où il est accueilli par le Préfet, il s’entretient avec Basly, puis Evrard et Beugnet avant de se rendre à pied et sans escorte à la « Maison du peuple », le fief de Broutchoux, absent.  

Clémenceau fait face aux grévistes les plus virulents auxquels il explique que la grève est un droit mais que la liberté au travail en est une autre et doit être respectée.

Le mardi 20 mars, les délégués des mineurs du Pas-de-Calais se réunissent à la mairie de Lens pour discuter des propositions de salaires faites par les représentants des compagnies minières. Le jeune syndicat représenté par Benoît Broutchoux désire participer à la réunion malgré l’opposition de Basly.

En se rendant à la mairie, plusieurs centaines de grévistes du Jeune syndicat se heurtent à la gendarmerie. Durant l’échauffourée, trois arrestations ont lieu dont celle de Broutchoux, le meneur, qui est aussitôt emmené à Béthune.

Ces événements ne parviennent pas à ébranler la détermination des grévistes qui poursuivent le mouvement.

Un référendum organisé le mercredi 28 mars donnera un nombre de voix très important pour la reconduction de la grève.

 

L’odyssée des rescapés

La sortie de treize rescapés le vendredi 30 mars au puits n°2 de Billy-Montigny laisse entrevoir momentanément un espoir de retrouver des survivants.

Il est environ 7 h 30 à la fosse n°2 de Billy-Montigny lorsqu’un garde d’écurie de la bowette 306 apercevant un groupe de silhouettes faméliques marcher dans sa direction, entend une voix qui lui dit : « nous sommes des rescapés ».

Après un instant de stupeur, l’homme s’enfouit en hurlant, croyant avoir affaire à des fantômes tandis qu’une équipe d’ouvriers se trouvant à proximité leur vient aussitôt en aide.

Bientôt, la nouvelle se répand dans les corons que des survivants ont été retrouvés, et la population accourt en direction de la fosse pour voir ces treize miraculés sortis de l’enfer.

Au matin du mercredi 4 avril, la remonte au puits n°4  de Sallaumines d’un ultime rescapé, Auguste Berton, resté seul prisonnier de la mine durant vingt-six jours, laisse penser que d’autres mineurs sont peut être encore prisonniers des entrailles de la terre.

Cet espoir sera malheureusement vite balayé et ce ne sont plus que des cadavres que les sauveteurs remonteront du fond.   

La commémoration de la catastrophe

A Méricourt, un monument évoque dans sa tragique sobriété la mémoire des 1099 victimes de la catastrophe des mines de Courrières.

Il est situé au coeur d’une nécropole abritant une fosse commune, le « silo », où reposent les restes des 272 victimes non identifiées de la catastrophe.

A l’initiative des communes concernées de la communaupôle de Lens-Liévin, ce lieu de mémoire a été mis en valeur à l’occasion du centième anniversaire de ce drame le 10 mars 2006. 

Un sentier du souvenir, « le parcours des rescapés », aménagé entre la nécropole et l’ancien carreau de la fosse n°2 de Billy-Montigny, retrace, au travers de 21 stèles, le périple des 13 survivants qui, le 30 mars 1906, regagnaient ensemble la surface après vingt jours d’errance dans les galeries dévastées.

Le Centre historique minier de Lewarde a organisé du 9 au 11 octobre 2006 un colloque européen sur la catastrophe et ses conséquences ainsi qu’une double exposition sur Courrières et Marcinelle qui s’est achevée le 7 janvier 2007.